Le digital: Bon élève, peut mieux faire !

Le digital: Bon élève, peut mieux faire !

« Si toi et ton ennemi restez ignorants, vous serez certains de vous retrouver en péril. » (Sun Tzu, L’art de la guerre)

« Alors ? Comment ça se passe ? Pas trop dur le changement ? Pourquoi t’es rentré ? Tu arrives à t’intégrer ?... » ces quelques questions, ponctuées généralement d’un petit sourire gentiment moqueur accompagné du fameux « t’inquiètes tu vas t’y habituer », font désormais partie de mon quotidien depuis que j’ai posé le pied sur le sol Tunisien il y a de cela 3 semaines, il faut dire qu’après 14 années dont plus de 10 à travailler sur le digital en France et pour le marché européen j’avais moi-même des doutes sur mes capacités à assumer un tel changement,  en fait, je n’avais pas forcément de doutes sur le marché et encore moins sur son potentiel mais plutôt sur les « gens », ceux qui représentent la composante même de ce marché : Les clients, les employés, les fournisseurs, les médias... mais aussi les concurrents.

Dans l’économie des services et particulièrement celle des agences, nous vendons et achetons du temps passé, des jours/hommes comme on dit (du vent diront nos détracteurs mais c’est ce vent qui fait quand même tourner le moulin) nous faisons confiance à des gens, et non pas à des structures, nous nous basons sur un feeling, un « bon fit », un relationnel, un charisme, mais surtout des compétences, une compréhension des problématiques, une bonne analyse et une capacité à accompagner dans l’atteinte des objectifs. Les personnes constituent donc la monnaie principale de cette économie et l’actif que l’on valorise le plus au sein d’une agence. Sur ce point, nous n’avons rien à envier à la France ou à l’Europe, les ressources sont bien présentes, les personnes passionnées et passionnantes, les compétences sont là, l’usage également, et les chiffres sont là pour le démontrer.

Face à cela nous pouvons évoquer le rôle des annonceurs, dire qu’ils ne sont pas matures, mal préparés/formés au digital, que leur split média est complètement biaisé, qu’ils ne savent pas ce qu’ils veulent, que leur vision n’est pas bonne,… c’est peut-être vrai, en partie, mais notre véritable problème en réalité est ailleurs (et il est même assez flagrant)

Pour pouvoir l’expliquer faisons un comparatif, même si assez simpliste, prenons l’exemple du tourisme ou encore la gastronomie, nous avons énormément d’atouts en Tunisie et au Maghreb pour être classés parmi les meilleures destinations touristiques/gastronomiques au monde mais notre point faible devinez lequel c’est ? Notre incapacité à communiquer, à collaborer et à unir nos voix pour être plus forts et plus visibles. Chacun veut exister par lui même, sans les autres (et pour le collectif compter sur le gouvernement) et c’est à mon sens une grave erreur. En France, même les boites de conserves ont leur union…

Parmi les rencontres que j’ai pu faire depuis mon arrivée, malheureusement quasiment aucune, qu’elle soit virtuelle ou réelle, de la part de concurrents. Je crois beaucoup à la richesse des rencontres, notre métier est fait de rencontres, mais je crois beaucoup aussi à la concurrence ! Je ne rêve pas d’une concurrence « pure et parfaite » mais d’une concurrence saine, qui tire le marché vers le haut (et non les prix vers le bas), qui travaille dans l’intérêt du client, qui se bat et s’organise pour prôner les valeurs/fondements d’un métier… un métier qui nous passionne (heureusement, si on en faisait fortune, ça saurait).

J’ai l’impression que le seul endroit où se rencontrent les agences c’est au sein du guide qui les recense ou lors de remises de prix, c’est vraiment dommage car on peut tous apprendre les uns des autres et s’aider mutuellement, si l’on n’arrive pas à communiquer et structurer notre métier comment peut on le faire évoluer? établir des standards ? mettre en place des règles ?… Comment peut-on alors se plaindre de la place qu’occupe le digital aujourd’hui au Maghreb ? des budgets  alloués ? des briefs  ? des « non appels d’offres » ?… 

Comment peut-on se plaindre ou être crédibles lorsqu’on manque cruellement d’outils de tracking ? de mesure d’audience ? que l’on se base sur du déclaratif/site centric ? Pratique l’opt-in forcé ? Revende/achète des bases emails/sms/données clients sans aucune autorisation ? Que l’on ne se soucie pas de la protection de données/vie privée ? que l’on dispose pas de possibilités d’accéder directement aux plateformes sociales/mobiles pour du service client ou de la publicité ? ...
Nul jugement de valeur dans ces propos, la scène digitale tunisienne est extrêmement riche et loin de se résumer à ces quelques reproches, j’ai également beaucoup de respect pour les acteurs qui la composent (ce qui va sans dire va mieux en le disant).

Néanmoins, les règles, les standards et les outils manquent, les plus opportunistes et ceux qui réfléchissent à court terme y verront une contrainte, j’y vois une opportunité à se dépasser, à être plus créatif, plus efficace… (l’exemple de la loin Sapin en France et son impact sur les agences illustre assez bien ces propos), et même si Internet évolue beaucoup plus vite que les standards et bouscule les règles, cette innovation permanente implique une certaine organisation/coalition et non la simple action de la fameuse « main invisible ».

Je lance donc un appel aux agences digitales, et autres acteurs majeurs de la scène digitale comme les régies, éditeurs, médias, prestataires de service et aussi startups, qui veulent unir leur forces et créer un organisme dédié (un hybride entre IAB, EBG et AACC en France) regroupant tous les acteurs d’Internet et qui représentera les intérêt de la profession autant vis à vis des annonceurs que du gouvernement et autres instances de régulation (type ANCE), organisations, Banques, écoles, acteurs internationaux (Facebook, Google, Microsoft…), qui réfléchira à établir des standards, évangéliser le marché, proposer des formations, éduquer, partager des best practices, faire de la prospective, publier des livres blancs, études, préparer l’avenir du digital (la digitalisation des entreprises, les objets connectés, l’économie collaborative…), rencontrons nous, faisons le déjà de manière informelle, prenons un café ensemble et parlons-en, la route est toujours moins longue à plusieurs, et le digital ne se portera que mieux (et votre business avec).

Aziz Haddad
DG isobarmaghreb